D’une manière générale, les religions prennent en compte le besoin de
la profonde nature de l’homme d’adorer une force surnaturelle qu’il considère
comme absolue, réunissant tous les attributs de la perfection. Ce besoin
d’adoration relève de l’instinct de religiosité qui est un des éléments
constitutifs d’une force vitale qui pousse l’être humain à agir. Force vitale
constituée d’un ensemble d’instincts et besoins physiques. L’instinct de
religiosité consiste donc dans la reconnaissance par l’être humain de son
impuissance et de sa dépendance par rapport à un Ordonnateur de toutes ces
choses sensibles ou perceptibles qui l’entourent : l’univers, la vie et
l’homme. Car une succession d’interrogations récurrentes
s'impose naturellement à nous : qu’étions-nous
avant de voir le jour dans cette vie ? D’où vient cet univers dans lequel
nous faisons halte ? Qu’est-ce qui en assure la pérennité ? Quel sera
notre destin après la mort ? Sera-ce le néant ou une autre vie ? S’il
existe une autre vie, comment se présente-t-elle ?
Les réponses de l’islam à ces interrogations sont
éloquentes : l’univers est agencé suivant des lois
immuables ; l’être humain est voué au bonheur du Paradis ou à la damnation
de l’Enfer ; la vie ici-bas est éphémère par rapport à la vie
future ; Dieu seul pourvoit aux besoins de Ses créatures ; le terme
de la vie dépend uniquement du Créateur ; le croyant doit s’en remettre à
Dieu en toutes choses ; il se doit d’adhérer au vrai et désavouer le
faux ; le Coran[2],
inimitable, est la parole de Dieu, adressée à l’humanité tout entière par
l’intermédiaire du Prophète Mouhammad (SA‘WS). En apportant ainsi aux
questions existentielles de l’homme des réponses aussi simples, exhaustives et
profondes tout à la fois, l’islam suscite certitude et sérénité : « Relève
donc la tête pour te vouer au culte pur de l’Un, selon la nature innée dont
Dieu a pourvu les hommes en les créant. Ce que Dieu a créé ne saurait être
modifié. Telle est la Religion droite. Mais la plupart des hommes n’en savent
rien[3]. »
Il est vrai que l’histoire de l’humanité ne mentionne
point de peuple sans religion, l’homme ayant toujours adoré quelque
chose : Dieu (culte de latrie), l’homme (androlâtrie), les anges et les
saints (culte de dulie), la
Vierge Marie (culte d’hyperdulie), les astres (astrolâtrie),
les icônes (iconolâtrie), les animaux (zoolâtrie), les serpents (ophiolâtrie),
les idoles (idolâtrie), la nature (naturisme), Satan (satanisme), etc. Preuve,
s’il en est besoin, que l’homme est religieux par instinct, voir par essence.
Or d’aucuns affirment que la religion est inapte à remplir une quelconque
fonction sociétale, ne lui attribuant qu’un rôle secondaire, voire marginal.
D’autres pensent, au contraire, qu’elle est à même de répondre à toutes les
attentes et aspirations naturelles de l’homme dans sa perpétuelle quête du
bonheur. Qu’est-ce donc que la religion et que peut-elle réellement nous
apporter ?
Le Trésor de la langue française
définit la religion comme le « rapport de l’homme à l’ordre du divin ou
d’une réalité supérieure, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de
dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales. » Idem pour le Grand
Dictionnaire Hachette encyclopédique, qui la présente comme l’
« ensemble de croyances ou de dogmes et de pratiques cultuelles qui
constituent les rapports de l’homme avec la puissance divine (monothéisme) ou
les puissances surnaturelles (polythéisme, panthéisme). » Le Nouveau
Littré la définit aussi comme l’ « ensemble de doctrines et de
pratiques qui constitue le rapport de l’homme avec la puissance divine. » Le
Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse la présente comme l’
« ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de
l’homme avec le sacré. » Quant au Grand Robert de la langue française,
il la conçoit comme une « attitude particulière (individuelle ou
collective) dans les relations avec Dieu, avec le principe suprême, dans le
domaine de la religion. »
Il ressort de toutes ces définitions
que, dans la langue française du moins, la religion est considérée comme une
relation stricte entre l’humain et le divin – ou ce qui est considéré comme tel
– en matière de croyances et de pratiques cultuelles. Et pour cause, « c’est
principalement au sein de la culture occidentale que la notion de religion a
pris consistance. Ni les sociétés traditionnelles comme celles de l’Afrique
noire, ni des systèmes de pensée tels que l’hindouisme, ni même la Rome
ancienne […] n’entendent la religion au sens moderne de relation avec un sacré
conçu comme séparé du profane[4]. »
D’ailleurs, aussi bien en pratique qu’en théorie, la religion est généralement
conçue en Occident comme une affaire d’ordre privé puisque « la religion
est devenue chose individuelle[5] »,
selon l’expression d’un certain philosophe. Dès lors, on comprend aisément que
l’on satisfasse cette religiosité inhérente à la nature humaine – et qui
« est plutôt de l’ordre de la sensibilité que de la foi[6] »
– en s’orientant vers n’importe quelle forme de spiritualité, puisque d’aucuns
considèrent que toutes les religions se vaudraient. La religion ainsi entendue
servirait à remplir un vide dans un cadre d’épanouissement étroitement
individuel. Mais cette vision de la religion est-elle universelle ? En
d’autres termes, si, pour des raisons historiques, la religion pose problème
aux Occidentaux, en est-il de même pour les autres ?
Pour ce qui est de l’islam, nous
savons qu’à son apparition, l’Arabie préislamique vivait dans l’obscurantisme
le plus total. D’où la conquête fulgurante de la Religion nouvelle qui,
libératrice, ne tarda pas à gagner les esprits et les cœurs, fondant une Nation
nouvelle. Or l’islam conçoit indifféremment les rapports de l’homme à Dieu
(articles de foi, pratiques cultuelles), à lui-même (nourriture, habillement,
morale) et à ses semblables (échanges, transactions, etc.) ; il forme un
tout homogène où l’esprit et la matière entrent naturellement en fusion :
« Dis : "Ma prière et toutes mes dévotions, ma vie
tout entière et mon trépas, je les voue en offrande à Dieu, Maître de l’univers[7]." »
Le principe de reconnaissance de Dieu, de Son Prophète
et de la Révélation
fonde ainsi l’âme de toute entité islamique. Peut-il d’ailleurs en être autrement
dans une Religion qui régit jusqu’aux détails les plus infimes de
l’existence humaine ? C’est que, dans la langue arabe, le mot dîn
ne désigne pas seulement, contrairement son correspondant français
"religion", le culte que l’on rend à la divinité, mais aussi
« la loi et le droit[8] »,
c’est-à-dire la voie à suivre en matière de jugement et de comportement à
l’échelle individuelle et sociétale : « La vraie Religion, pour
Dieu, c’est l’islam […] Quiconque recherche une religion autre que l’islam,
celle-ci ne sera point agréée de lui, et il sera dans l’Au-delà au nombre des
perdants[9]. »
Ainsi l’islam se présente-t-il comme un credo doté
d’un mode de vie individuel et d’un modèle de société couvrant l’ensemble de la
vie humaine : « […] C’est à toi que fut révélé ce Livre où toute
chose se trouve expliquée, et qui est aussi un guide sûr, une miséricorde et
une annonce heureuse pour les croyants[10]. »
D’ailleurs, les orientalistes honnêtes reconnaissent à
l’islam cette globalité puisque « […] le droit religieux occupe en islam
une place infiniment plus importante que le droit canonique dans les traditions
chrétiennes, occidentales et orientales. Il porte en effet sur les quatre
obligations individuelles fondamentales de l’islam (la prière, l’aumône légale[11], le
jeûne et le pèlerinage), sur l’obligation communautaire qu’est la guerre sainte
(sic), sur le mariage, la répudiation (sic), les héritages, les
ventes, les contrats, l’exercice du pouvoir, le droit pénal, le droit de la
guerre, le statut des "soumis-protégés" (essentiellement les Juifs,
les chrétiens et les zoroastriens), etc., et, plus généralement, sur les
relations sociales à l’intérieur de la communauté et avec les non-musulmans[12]. »
La globalité de l’islam doit
évidemment être comprise au sens législatif, non au sens technique. En d’autres
termes, l’islam est à même d’apporter une solution à tout problème humain.
Encore faut-il que les conditions de l’interprétation juridique soient
remplies, à savoir la connaissance des textes révélés, de la langue arabe qui
les véhicule et la piété requise. En revanche, l’on ne trouvera pas de solution
à un problème d’ordre technique car l’islam n’est pas un traité d’agronomie ou
de physique, mais un modèle de société. La validité de ce modèle indépendamment
de l’espace et du temps est d’autant plus avérée qu’il consiste en un ensemble
de normes et de principes généraux embrassant toute les dimensions de la vie
humaine. C’est pourquoi l’islam est le seul credo à pouvoir faire le pont entre
la vie temporelle et la vie spirituelle d’une manière telle que l’esprit et la
matière ne font qu’un. C’est pour cela aussi qu’il est le seul à même de
réaliser tout à la fois les quatre valeurs universelles exhaustives auxquelles
l’être humain puisse aspirer : spirituelle, matérielle, humaine et morale :
« Use des biens que Dieu t'a accordés pour gagner le séjour éternel,
sans sacrifier ta part de jouissances de ce monde ! Sois bon envers autrui
comme Dieu l'a été envers toi ! Ne souille pas la terre de tes
méfaits : Dieu n'aime point les fauteurs de désordre[13] ! »
Ainsi l’islam est-il le seul véritable capital du croyant. Capital qu’il doit
préserver et fructifier : « Je vous laisse sur une voie claire de
nuit comme de jour ; ne s'en égare, après moi, que celui qui est voué à la
perdition[14]. »
Religion de la fitrah, l’islam l’est assurément et ce,
pour trois raisons au moins :
1°) Il ne laisse pas la croyance en Dieu au niveau de la seule
intuition, mais préconise l’usage de la raison pour bien asseoir la foi sur la
certitude au moyen de preuves certaines : il n’y a pas d’œuvre sans
artisan ;
2°) L’islam est global, couvrant tous les besoins de l’homme, qu’il
s’agisse de son mode individuel ou de sa vie en société ;
3°) Il est compatible avec la nature humaine,
c’est-à-dire qu’il n’est pas contre nature, comme d’autres religions ou
idéologies. Il répond à tous les besoins de l’homme sans en satisfaire les uns
au détriment des autres, n’en frustre pas une partie pour donner libre cours à
une autre, ni ne lâche la bride à l’ensemble, mais les harmonise dans leur
totalité, les comblant tous au moyen d’une organisation minutieuse ; ce
qui procure à l’homme bien-être et confort, et empêche sa chute à l’état animal
du fait de l’anarchie des instincts.
L’islam répond ainsi aux questions fondamentales qui nous
ont incontestablement déjà interpellés plus d’une fois au cours de notre
existence, et qui ont même eu une portée beaucoup plus large en englobant le voyage
de toute notre vie : d’où venons-nous ? Pourquoi sommes-nous
venus ? Où allons-nous ? Ainsi, en considérant
l’univers, la vie et l’homme tels que les présente l’islam, la raison découvre
que l’existence de Dieu est une réalité concrète, non une conception de
l’esprit comme on l’imagine dans d’autres religions, déformées par les hommes.
En embrassant la foi, l’homme adapte alors sa conduite à cette vision du monde.
Sayyed Chinqiti
[1] Salla l-Lâhou ‘alayhi Wa Sallam
(que la bénédiction et le salut de Dieu soient avec lui !), formule qu’il
est recommandé de prononcer à l’évocation du Prophète Mouhammad. Cf. sourate 33 (al-’Ahzâb/les
Factions), verset 56.
[2] Pour
ce qui est de l’interprétation du Coran en français, nous nous référons
globalement à celle du Pr Sadok Mazigh (Le Coran, Organisation de la
prédication islamique, Tripoli, s.d.). Elle a en effet, pensons-nous,
l’avantage d’être tout à la fois intelligible, élégante et assez fidèle au sens
du Message coranique sans prétendre, contrairement à beaucoup d’autres,
reproduire le Livre de Dieu en en calquant servilement structures linguistiques
et arabismes. Pour autant, certains aménagements s’avéraient nécessaires, car
toute interprétation du Coran reste inévitablement sélective et partielle, et
est donc bien moins riche que l’original.
[3] Voir sourate 30 (ar-Roûm/les
Byzantins), verset 30.
[4]
Encyclopédie Larousse, art. « Religion ».
[5]
Ernest Renan, « Qu’est-ce qu’une nation ? » (Conférence faite en
Sorbonne, le 11 mars 1882).
[6] Grand
Dictionnaire Hachette encyclopédique, art. « Religiosité ».
[7] Voir sourate
6 (al-’An‘âm/les Troupeaux), verset 162.
[8] al-Mou‘jam al-‘arabî al-’asâsî, art. « DYN ».
[9] Voir sourate
3 (’Âl ‘Imrân/la famille ‘Imrân), verset 19 et 85.
[10] Voir
sourate 16 (an-Nahl/les Abeilles), verset 89.
[11]
Contrairement à ce qu’écrivent certains orientalistes, la zakat n’est pas une
"aumône légale", mais une contribution
purificatrice annuelle obligatoire. Elle est perçue uniquement sur des
biens déterminés par la Loi
islamique : argent, or, produits du commerce, de l’agriculture et de
l’élevage dont la valeur doit atteindre le quota légal ou nisâb,
c’est-à-dire 85 grammes
d’or (soit actuellement environ 2629,05 €). La zakat est à hauteur de 2,5% des
biens effectivement possédés, et doit être versée suivant le calendrier
islamique.
[12] C.
Gilliot, « Théologie et littérature en islam », in Dictionnaire
universel des littératures, PUF, Paris, 1994, vol. 3, p. 3818.
[13] Voir
sourate 28 (al-Qasas/le Récit), verset 77.
[14]
Hadith rapporté par Ibn Mâjah.
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